L’évaluation objective des risques et dangers est, de mon point de vue, une compétence clé à posséder pour randonner seule ou seul en toute sécurité. Qu’en penses-tu ?
Lorsque tu te retrouves en solitaire sur un sentier alpin, tu ne peux pas t’appuyer sur l’avis ou l’opinion de tes collègues de marche. Tu dois assumer seul tes propres décisions.
Je me souviens que, plus jeune, lorsque je partais en groupe, je m’inquiétais très peu de la météo, de l’itinéraire…J’avais facilement tendance à déléguer ces tâches. Ou, plus justement, à ne pas m’en soucier. Je me laissais faire comme on dit.
Le fait de commencer à randonner seul m’a obligé à reprendre cette pleine responsabilité. Et, maintenant, les rares fois où je pars en groupe, si ce n’est pas moi qui mène, je sais quel est le parcours, suis beaucoup plus attentif à ce que nous faisons, ou nous passons et aux dangers qui pourraient nous guetter. Grâce à la rando en solo, c’est devenu un état d’esprit.
Une responsabilité qui peut faire peur
Je remarques que prendre cette responsabilité seul peut faire peur à de nombreux randonneurs. Il aimeraient franchir le pas de la solitude en montagne, mais… Peut-être que c’est ton cas ?
Marcher dans la solitude représente une occasion unique de mieux te connaître, de mieux connaître ton environnement. Pour parler uniquement de cet avantage, il y’en a tant d’autres que tu connais certainement !
Donc, si tu souhaites te lancer, dégrossissons ensemble le sujet. L’objectif est de te sentir plus à l’aise dans tes prises de décisions en montagne.
L’évaluation des dangers : une pratique de terrain
Il y a une première chose importante que tu dois comprendre : l’évaluation correct des dangers n’est jamais un acquis. C’est quelque chose qui se pratique… sur le terrain. C’est un domaine dans lequel tu peux toujours t’améliorer, toujours acquérir plus d’expérience. Tu peux réellement le développer à l’infini ! Donc, à quel moment vas-tu te lancer ?
Le fait est que tu ne seras vraisemblablement jamais un expert du domaine. Et c’est bien de l’accepter dès le début. Je dirais même que c’est tant mieux : lorsque tu te crois expert, c’est là que la mauvaise décision peut survenir. Le doute éveille souvent la vigilance qui est une bonne conseillère !
Donc, pour acquérir cette expérience que tu cherches, commence simplement à pratiquer. Le plus tôt sera le mieux. Au diable les excuses. Quel que soit ton niveau, tu peux toujours penser que tu n’est pas assez bonne ou bon. Le premier risque est donc de ne jamais oser faire le premier pas. Je t’encourage donc à commencer dès maintenant, en adaptant ta rando à tes capacités.
Alors oui, ça peut être intéressant de faire une randonnée avec quelqu’un qui met l’accent sur les risques que tu encours dans telle ou telle situation. Dans la plupart des cas, tu peux arriver à les déterminer toi-même. Le fait d’être seul va t’y aider. Cela va te pousser à être attentive ou attentif, à observer…
Observer pour mieux évaluer
Le premier élément, pour bien évaluer les risques, c’est d’observer. Pas uniquement pour prendre une décision cohérente. Également observer des situations qui se sont déjà produite.
Par exemple, lorsque tu te retrouves sur la neige, en rando de printemps, tu peux observer, sur l’autre versant, une coulée qui s’est déclenchée spontanément il y a un jour ou deux. Cela te donne quelques indications sur l’état du manteau neigeux. Ce n’est pas une information d’une grande précision, car dépendante de l’inclinaison de la pente, de son orientation, de l’heure, de l’ensoleillement…
Il s’agit tout de même d’une information générique que tu peux glaner en chemin. Et, éventuellement, tu peux essayer de comprendre pourquoi là plutôt qu’ailleurs. Peut-être que cela te donnera envie d’en savoir plus. Tu vas ainsi te documenter pour connaître les endroits à risque. Et faire ainsi un lien entre tes observations sur le terrain et le savoir théorique. Vois-tu à quel point cela peut être instructif ?
Et pas besoin de prendre de risque pour faire de telles observations. Tu peux rester dans un endroit sécurisé et observer, depuis ce point, d’autres endroits plus exposés. En te posant des questions, en essayant de comprendre le pourquoi de cette coulée, tu vas en apprendre beaucoup !
Et ces informations pourront te servir plus tard, lorsque tu aura une décision à prendre, de passer ou non dans ce type de terrain.
Ce qui est valable ici pour une avalanche est également vrai pour une coulée de boue, un arbre touché par la foudre ou un endroit complètement inondé après un orage. Très utile comme expérience à emmagasiner, par exemple pour éviter de planter ta tente sur un endroit à risque.
Ils ne referont plus cette erreur…
Tiens, ça me rappelle une petite anecdote. Nous sommes fin juillet 2018. Je suis en plein Tour du Ruan. J’arrive à l’endroit prévu pour le second bivouac de cette randonnée. J’ai prévu de dormir aux abords du lac Vogealle, au-dessus du magnifique cirque du Fer à Cheval. Je me hâte de trouver un endroit propice pour monter la tente. Ça sent l’orage.
À peine installé, des trombes d’eau et de glace tombent du ciel. Bien à l’abri, c’est un spectacle magique, au son des grêlons qui font chanter la toile. C’est dans ces moments-là que tu apprécies la qualité et que le prix de ton matériel devient totalement secondaire 😂
Par la petite ouverture de la tente, j’observe les ruisseaux se transformer en torrents. L’eau coule de partout, au loin et autour de la tente.
Une demi-heure plus tard, une fois l’orage calmé, je sors pour faire un état des lieux du voisinage. Il y a en effet quelques autres randonneurs qui ont monté leur campement tout proche.
Et c’est là que je vois un couple en train de démonter leur tente. Ils l’avaient planté dans une petite dépression au fond de laquelle il y a bien… 20 cm d’eau ! Tout leur matériel est trempé ! Il ne leur reste plus qu’à tout remballer et à retourner chez eux !
C’est là que je me félicite d’avoir planté mon bivouac sur un terrain en légère pente.
Tu vois de quelle manière l’observation et une bonne évaluation des dangers peut t’éviter des désagréments ? Et aussi comment cela se construit sur l’expérience ? Je suis certain que ce couple va se rappeler de cette leçon.
Et c’est pour cette raison que je te recommande de commencer, toi aussi, à engranger des expériences. Fais-le petit à petit, à ton niveau, dans des endroits et des circonstances que tu sais sécuritaires pour toi. J’en ai parlé bien souvent.
Deux éléments à mettre en balance
Car, vois-tu, dans l’appréciation du risque, il y a deux éléments à mettre en balance : le terrain et ton savoir-faire. En effet, un passage qui te paraît dangereux ne le sera peut-être pas pour une personne plus expérimentée.
Le grand avantage, quand tu randonnes seule ou seul, c’est que tu prends ta décision pour toi tout seul.
En groupe, tu peux facilement te laisser influencer par le plus grand nombre. Ainsi, un individu plus faible techniquement pourrais prendre des risques pour suivre le groupe dans un endroit que les plus avancés considèrent comme accessible. Évidemment il serait judicieux de tenir compte de l’avis du plus faible. En pratique, ce n’est pas toujours le cas. Et par l’effet de groupe, le plus faible n’osera peut-être pas exprimer sa peur.
Et je te parle en connaissance de cause ! C’est sous cet effet que, plus jeune, j’ai cru terminer ma vie sur une face nord. Avec le recul, je n’aurais jamais dû accepter de m’y engager. Mais avec l’effet de groupe…
Bon, avec le recul, c’était une expérience enrichissante !
Le risque adapté à tes compétences
Prenons un autre exemple parlant : une place de jeux !
Sur une place de jeux, il y a toutes sortes d’installations dont un toboggan. Si celui-ci n’est pas dangereux pour un enfant de sept ans, il peut être mortel pour un enfant de six mois ou d’une année. Vois-tu mieux l’importance de trouver cette adéquation entre terrain et niveau technique / savoir-faire ?
Cela te demande donc de connaître, à la fois ton environnement et de te connaître toi-même. C’est l’appréciation des dangers objectifs (provenant du milieu) et subjectifs (l’erreur humaine). Nous aurons l’occasion d’en reparler…
Pour connaître ton environnement et te connaître toi-même, le mieux reste de te confronter au terrain, en pratique. Alors oui, apprendre les bases de l’évaluation du risque à travers cet article, une vidéo, un livre… c’est très bien.
Cependant, si tu ne sors jamais de chez toi, ça reste un savoir théorique. En sortant, tu transformes ce savoir en réflexe. Et, ainsi, tu peux te sentir parfaitement en sécurité dans ton terrain de jeu préféré !
Y aller… ou pas ?
Ok, par ton observation tu as maintenant engrangé tout un tas d’informations sur ton environnement. Et en te confrontant à certains événements, tu connais mieux tes limites. Tu peux dorénavant évaluer avec plus de précision le danger que représente le passage qui se trouve devant toi. Tu es face a un choix : y aller ou non. Le fameux go/no go.
Et, souviens-toi bien que tu as toujours le choix ! C’est une notion importante à garder à l’esprit !
Alors oui, parfois ton choix implique un détour. Ou faire quelque chose d’imprévu au départ. Peut-être que cela va te retarder. Peut-être même te mettre en danger d’une autre façon. Par exemple randonner de nuit parce qu’il est déjà tard.
À ce moment-là, ne te dit surtout pas, comme j’entend souvent : « je n’ai pas le choix » !
Dis toi, je suis face a deux choix. Ou peut-être 3 ou 4, selon la situation. Quelle solution je vais choisir ? Lequel de ces choix représente la meilleure alternative, le risque le plus faible ? Souvent, par le simple fait de te poser la question de cette manière, la réponse apparaît clairement !
Comment faire un choix plus éclairé ?
Si tu hésite encore dans ta prise de décision, voici une astuce que j’utilise.
Je l’emploie généralement pour faire un choix binaire, par exemple par rapport à emprunter un passages qui me semble dangereux ou exposé.
Tout d’abord, je me pose, je respire. Je pense ensuite à mon entourage : mes enfants, ma maman, les proches qui me sont chers. Je pense aux moments que j’aimerais vivre ou revivre avec eux. Une fois ces images en tête, je me pose la question suivante : « est-ce que je prends ce risque ? Est-ce que ça vaut la peine ? » La réponse peut ensuite être oui ou non, selon la situation.
Ce petit exercice tout simple te permet de prendre du recul, de mettre la situation actuelle en perspective. Avec cette simple question, tu peux prendre de meilleurs décisions. Non pas uniquement focalisé sur le court terme, mais sur le plus long terme.
Élargir ta vision
Tu vois, nous avons parfois ce que j’appelle une « vision tunnel » par rapport à une situation donnée. J’entends par-là, une vision réduite, comme si nous avions des œillères qui ne laisse pas de place à une perspective plus large. Le fait d’élargir ta vision peut amener à une réflexion du genre : « vu comme ça, effectivement, c’est évident » !
Cette fameuse décision d’y aller ou pas est parfois difficile à prendre. Tiens, ça me rappelle une randonnée en particulier.
Nous sommes en juillet. J’ai plus de 6h de marche dans les jambes depuis ce matin. Et là, trois heures de montée abrupte. Une partie du parcours sous la pluie. Heureusement, le brouillard s’est levé. La pluie a cessé. Je vois enfin où je vais. J’ai qu’une envie : me reposer.
Bon, apparemment, il reste une longue traversée, une courte montée avant de me retrouver à la descente. Et enfin finir cette randonnée. Mais là, une surprise m’attend. Un couloir. Le seul endroit enneigé de cette virée. La neige est dure comme de la glace. Difficile d’y tailler des marches juste avec les chaussures. Le couloir descend à pic, je n’en vois pas le bout. Je n’ose même pas imaginer une chute ici. Dans ce cas, impossible de me rattraper, je n’ai ni piolet ni crampons. Et impossible de le contourner, il s’étale sur tout le flanc escarpé de la montagne. J’ai une décision à prendre : y aller ou rebrousser chemin. D’un côté, 5 mètres de difficulté et 2 heures pour terminer ma rando. De l’autre, la descente, puis une longue journée de marche pour le détour. Eh oui, c’était un sacré raccourci 😂
Est-ce que je peux trouver une autre solution ? Un moyen de me sentir un peu plus en sécurité ? Dans ces conditions, je n’y vais pas, c’est sûr, mais si je peux trouver quelque chose… Y a-t-il une autre option ?
Après quelques bonnes respiration, eurêka, peut-être quelque chose à tenter : utiliser des pierres comme substitut de piolet !
Je choisi deux pierres qui tiennent parfaitement dans ma main. Elles sont suffisament pointues pour pouvoir les planter dans la neige. Je choisis le passage le plus court, le moins exposé. Je fais un premier test : concluant. Je tente mes deux premiers pas sur le névé, ça me paraît bien. Je peux à la fois assurer mes mains et tailler des marches pour mes pieds. Tout en me concentrant sur la technique pour garder mon calme, j’avance, lentement, sûrement. Quelques instants plus tard, je foule l’autre rive. Whaouuu, quelle sacrée traversée !
Alors oui, c’était un peu chaud, j’avoue. Et, que ce soit clair, je ne t’encourage pas du tout à le faire dans pareil situation. Quoi que cette astuce des « pierres piolets » m’a servi quelques fois par la suite… dans des passages moins exposés.
Bon, ce que tu peux retenir de cette expérience : tu peux parfois trouver une solution créative pour te sortir d’une situation embarrassante. Une solution créative qui te permet de te sentir un peu plus en sécurité et te permettre de faire le pas.
Si j’avais orienté mon esprit dans le sens « je n’ai pas le choix », mon esprit se serait fermé et je n’aurais sans doute jamais trouvé cette solution !
Et lorsque tu te retrouves seule ou seul en montagne, face à tes décisions et leurs conséquences, tu ne veux jamais brider ta créativité… Elle est trop essentielle !
En résumé
- randonner en solitaire te demande de prendre et d’assumer tes propres décisions ;
- comme tu les prends seul, elles devraient en principe être adaptées à ton niveau technique ou ton savoir-faire, car tu ne subit pas la pression du groupe ;
- renoncer demande parfois plus de courage que de continuer ;
- l’appréciation du risque est des dangers peut se développer à l’infini ;
- devenir un expert du domaine peut devenir dangereux ;
- le doute permet bien souvent de rester concentré et attentif, ce qui peut s’avérer précieux ;
- la pratique te permet d’améliorer ton expérience et affiner ta technique, cela te rend plus confiant et sûr de toi ;
- te confronter aux situations permet de mieux te connaître ;
- une bonne évaluation du risque tient compte des dangers de l’environnement et de ton savoir-faire : bien te connaître est tout aussi important que de comprendre ton environnement.
Alors, pour acquérir de l’expérience dans l’appréciation des risques et des dangers, tu sais ce qu’il te reste à faire : sortir randonner !
Laisser un commentaire